d'une rive à l'autre

Mon inspiration pour photographier vient de la lumière : une lumière forte, dense, très éclairante, parfois éblouissante.

Photographier, étymologiquement, peindre, écrire avec la lumière, avec ce préfixe « photo- » (φωτoς, photos : lumière, clarté) — « qui procède de la lumière », « qui u*lise la lumière » et ce suffixe « -graphie » (γραφειν, graphein : peindre, dessiner, écrire) - « qui écrit », « qui aboutit à une image ».

Pour illustrer cette inspiration de la lumière, une ville me touche particulièrement, Rabat, ville impériale, où plus de deux millénaires d’histoire sont inscrits dans ses pierres. Capitale du Maroc, elle est située sur la côte atlantique au nord de Casablanca.

La lumière y est éclatante, tout particulièrement lorsque le vent venant de l’océan balaye les nuages. Au pe*t ma*n, la ville semble enfouie dans un léger brouillard d’humidité d’où percent quelques rayons de soleil aveuglants.

Rabat est voisine de la ville de Salé, rendue célèbre par ses ruines romaines de l’ancienne Sala Colonia fondée au 1 er siècle av J.-C.

Ainsi les villes de Rabat et Salé se font face, séparées par l’estuaire de l’oued Bou Regreg, mais les habitants circulent aisément d’un côté à l’autre de la rive grâce à une simple barque, évitant ainsi un très grand détour par les différents ponts qui enjambent le fleuve se jetant dans l’Océan.

Un passeur moyennant quelques dirhams effectue chaque jour, en con*nu, ce court trajet, transportant hommes, femmes, enfants, berceaux, mais aussi toutes sortes de choses, des plus légères aux plus lourdes, des paniers etc… C’est un spectacle que j'aime beaucoup regarder et photographier, m’imaginant que ce passage en barque d’une rive à l’autre existe depuis longtemps. Les femmes que je photographie, elles aussi, regardent ces passages, le fleuve et l’Océan.

Mais c’est autre chose que nous voyons et dont nous faisons l’expérience : la présence devant nous, inaccessible et indépassable, d’une ligne, celle de l’horizon.

Je photographie ce moment indélébile de notre expérience originaire, celle du face à face avec ce qui nous détermine, nous situe et nous permet de nous orienter et que nous ne pouvons jamais atteindre.

Ligne qui sépare et relie l’océan au ciel ou le ciel à la terre, l’horizon est ce contre quoi le regard se détermine et qui le rend possible. Pourtant seul cet horizon n’est rien. L’histoire du paysage en peinture nous a appris qu’il fallait un mouvement complexe du dire vers le sen*r et du sen*r vers le voir rétroagissant alors vers le dire pour que quelque chose devienne « visible ». Si l’horizon fait à l’évidence par*e des expériences originaires de l’homme, c’est la présence de ces signes matériels que l’homme inscrit dans le paysage qui le rend pensable, en venant à la fois souligner l’inaccessible et le rendre proche. 

Vannina Micheli